🦞 quand vous étiez plus jeune vous vouliez faire quoi ou devenir qui ?

Candice - Moi quand j’étais petite, c’était pas très original, mais j’avais très envie de devenir professeure des écoles. J’étais un peu fan de mes maîtresses. J’habitais dans un petit village et j’avais un rapport un peu privilégié à l’école avec une petite classe et elles étaient très investies au sein de l’école et auprès des élèves. Donc j’avais un eu ce mythe, j’idéalisais vachement mon instit’ à l’époque. Mais ça a évolué très vite car dès mon entrée au collège, j’ai voulu être journaliste. Il y avait quand même un attrait pour les médias, la communication et le fait de donner et réceptionner la parole des autres.
Apolline – On y reviendra un peu plus tard, mais peux-tu nous dire ce que tu fais aujourd’hui ? Est-ce que continues ce rêve ou aurais-tu un peu bifurqué ?
 
Candice – Un peu des deux ! Aujourd’hui je suis formatrice sur les questions d’égalité et des genres. Je suis la fondatrice de La puce à l’oreille et je travaille sur les enjeux de genre et éducation.
 
Apolline – Merci beaucoup. Et toi Marine, tu voulais faire quoi ou devenir qui quand tu étais petite ?
 
Marine – Moi comme beaucoup j’ai pas mal changé. J’ai voulu être journaliste aussi pendant un bon moment. Dès la primaire je me souviens j’ai voulu être journaliste, puis avocate. Sur le tard j’ai voulu être prof à la fac avant de me rendre compte que c’était très précaire de vouloir travailler à la fac et difficile. Ce qui est certain, c’est que je voulais faire un travail dans lequel j’étais stimulée, qui avait du sens comme beaucoup de gens de notre âge.
Je voulais aussi faire un travail dans lequel on aide les autres
Et aujourd’hui je suis chargée de prévention dans une association. Je fais de la prévention en milieu scolaire mais ça peut aussi être auprès d’entreprises, d’élu·es et de tout public.
 
Apolline – Ha donc tu gardes comme Candice le côté transmission et sensibilisation. Donc vous avez pas mal de choses en commun hormis vos études puisque vous venez toutes les deux de Saint Étienne – cette fameuse mafia. Je vous ai réunies aujourd’hui pour parler des inégalités de genre dans l’orientation. Pour vous faire état des lieux de ma réflexion ces derniers jours, en faisant des recherches je suis tombée sur la nouvelle loi autour du bac. Comme vous le savez on a plus de lois aujourd’hui, c’est vraiment aux jeunes de choisir leur spécialisation dès très tôt et je suis tombée sur plusieurs articles qui mentionnaient le fait que cette loi sortie en 2019 avait sensiblement baissé le nombre de jeunes filles qui s’orientaient dans les filières scientifiques alors qu’entre 1994 et 2019 il y avait eu un micro bond dans ces matières là.
Ça m’a fait me questionner sur les domaines dans lesquels on allait retrouver des jeunes filles ensuite. J’ai fait une prépa littéraire, il y avait moins de 10% de mecs alors que les prépas scientifiques ont un ratio inversé.
En préparant cet entretien, on s’est donc dit que ça pouvait être chouette de se concentrer sur l' éducation – en amont – et voir comment les différents stéréotypes pouvaient y naître. D’où la question qui suit 👇
 

🤿 qu’est-ce que vous pourriez me dire par rapport à l’éducation et au modèle qu’on nous propose quand on est plus jeune ?

Marine - Moi personnellement, ce qui me passionne quand on parle des inégalités et plus particulièrement des inégalités de genre, c’est qu’on peut en parler dans tous les domaines. Ces rapports se retrouvent partout. J’avais un prof à la fac quand j’étais en échange qui me disait « on met les lunettes du genre ». Et moi je le vois vraiment comme ça, c'est-à-dire que tu mets les lunettes de genre pour voir les liens et les relations qui se font. Un peu comme tu vois dans les films d’espions à la Tom Cruise où le personnage va mettre des lunettes qui lui permettent de voir les lasers.
 
Candice - Oui, tu vois ce que tu ne pouvais pas voir à l’œil nu grâce à cet accessoire
 
Marine - exactement ! Une fois que tu mets ces lunettes et que tu comprends comment ça fonctionne, tu ne peux plus ne plus les voir. Donc les scenes du quotidien, etc. C’est pour ça que j’écarquille les yeux quand tu poses cette question parce que pour moi, le genre est partout.
L’impact de comment on éduque les jeunes enfants on le retrouve partout, même dans les recoins qu’on ne suspecte pas.
 
Candice - Je suis tout à fait d’accord avec toi sur cette métaphore des lunettes de genre. Je le vois lorsque j’accompagne des professionnel·les de l’éducation. On va aller sur des sujets un peu « basiques » comme la répartition des couleurs, des jouets, et très peu ce concentrer sur ce qui est finalement, à mon sens, insidieux, invisible.
L’intérêt de la formation c’est justement de chausser ces lunettes et voir ce qui n’était pas possible avant et comprendre que le genre s’immisce dans les détails.
 
Marine - Et c’est pour ça que c’est un travail aussi long. Ça demande beaucoup de minutie parce qu’on a des réflexes qui sont partout que penser à tous ces détails, ça prend du temps. Moi-même tous les jours je me rends compte de mes biais et je me dis « ho non ! » alors que ces questions m’animent depuis que je suis gamine
 
Candice - Et c’est pas parce qu’on est professionnel·le qu’on est exempt·es de ces biais. Faut se déculpabiliser aussi ! On a baigné dans ces inégalités donc ça ne fait pas de nous des personnes sexistes mais on peut être traversé·es par des pensées qui le sont
 

🐠 quels sont potentiellement dans l’éducation des choses que nos profs et nos parents peuvent faire / dire qui peuvent avoir un impact sur nos trajectoires professionnelles – comme c’est le sujet qui m’amine – mais aussi personnelles ?

 
Candice - Pour moi il y a deux strates. Il y a à la fois une forme de sexisme un peu implicite au sens où, par exemple, dans les manuels scolaires, il y a eu peu voire pas de femmes scientifiques qui sont montrées dans les pages de maths, de sciences, etc. Cette sous-représentation vient, de fait, biaiser l’orientation des jeunes filles qui se disent « a priori c’est un milieu réservé pour les hommes donc j’y vais pas »
 
Et il y a aussi le sexisme explicite avec tous les stéréotypes de genre comme celui qui dit que les petites filles sont moins bonnes en maths. Ce qui peut donner des choses comme « Non mais tu ne vas pas aller dans une filière scientifique, vas plutôt dans les lettres ou des carrières ou tu seras dans le soin »
 
Ces deux strates ne vont pas l’une sans l’autre et s’articulent ensemble. Elles vont engendrer ce qu’on peut appeler « la menace du stéréotype » qui est, en gros, le fait d’avoir tellement intégré un modèle qu’on se sent inférieure. C’est comme si le stéréotype avait un impact sur la confiance en soi, les compétences, etc.
 
Je vais te donner un exemple. Il y a quelques années, une étude a été menée aux États-Unis. Elle consistait à faire passer un test de mathématiques. On a pris un groupe mixte : filles-garçons d’un côté et filles-garçons de l’autre. À un groupe on leur a dit que c’était de la géométrie, à l’autre on leur a dit que c’était du dessin. Celui à qui on a dit que c’était de la géométrie, les filles sont en échec. Mais pour le groupe à qui on a dit que c’était du dessin, les résultats sont les mêmes côté filles et côté garçons.
C’est pas une question de compétence, d’être meilleur·es ou non en maths, c’est une question de « on a tellement intégré ce stéréotype là, on nous a tellement répété que les filles étaient moins bonnes en maths que ça a altéré nos compétences et ça vient de fait nous mettre en échec ».
 
Marine - En fait c’est des prophéties auto-réalisatrices. À force de le dire ça devient tangible. Comme tu dis, ça dégrade la confiance en elles des jeunes filles. Et d’ailleurs, jusqu’au collège, les jeunes filles sont mêmes meilleures en maths. Comme quoi tout est du domaine de l’acquis. Même quand les jeunes filles et les jeunes garçons ont le même niveau en maths, les filles vont avoir moins confiance en leurs compétences alors qu’elles ont les mêmes moyennes.
 
Je relisais mes notes de cours ce matin et je suis tombée sur un exemple. Même quand ils avaient des moyennes en maths entre 6 et 9, les garçons en seconde vont quand même demander à entrer en première S là où les filles pas du tout. Une fille allait se sentir légitime à postuler en S que quand elle avait des bonnes notes – peut importe ce que ça veut dire. Et ça se retrouve ensuite aussi dans la recherche d’emploi. Quand on candidate à un poste, les femmes vont candidater à partir du moment où elles cochent toutes les cases et vont parfois s'auto-censurer et postuler à des postes en dessous de leur niveau de qualification – comme il n’y a pas de candidat·e parfait·e de toutes les manières. En revanche les hommes vont postuler à partir de, je crois, 50% des compétences ou expérience cochées et se sentir légitimes à le faire.
 
Et la légitimité, c’est une vraie question ! On revient sur l’aspect invisible, subtil et pervers des questions de traitement. Ça passe beaucoup par la question de la place que l’on prend. À la fois par la parole, par l’espace.
 
Si on regarde l’urbanisme, les cours sont construites par/pour les hommes. Et, aux États-Unis des sociologues avaient étudié comment les enfants occupaient l’espace dans les cours de récréation. On voyait que les petites filles allaient occuper les périphéries des cours de récré et les toilettes pour faire des jeux qui demandaient assez peu de participantes mais par contre plus de règles etc. – comme la corde à sauter – mais qui étaient reléguées sur les périphéries. Les garçons, eux étaient au centre et allaient prendre beaucoup plus de place, allaient jouer à des jeux avec beaucoup moins de règles. Ils allaient jouer à des jeux qui mobilisent beaucoup plus le corps à l’inverse des petites filles.
 
Pour la place prise par la parole, c’est super insidieux . Les maîtres et les maîtresses vont davantage donner la parole aux petits garçons, vont davantage plus se soucier d’eux – les petits garçons qui font la bagarre par exemple. Leur donner de l’attention en tout cas. Aux jeunes filles, on leur apprend à prendre moins d’espace. On leur apprend à se faire toutes petites en fait. À ne pas parler trop fort. Une petite fille qui se bagarrent on va appeler les parents. Un petit garçon on va percevoir ça comme normal. Du coup ce truc là de « rester à sa place », on l’apprend dès son plus jeune âge.
 

⚓️ candice, tu m’avais beaucoup parlé du langage, notamment de la règle « le masculin l’emporte toujours sur le féminin ». est-ce que tu pourrais nous en dire plus – parce que je pense que mon résumé sera moins bon que ton explication ?

 
Candice - Oui tout à fait, je pense que ça fera une passerelle avec ce que Marine disait sur le fait que les petits garçons étaient davantage encouragés à prendre de l’espace et prendre / être donné la parole par rapport aux petites filles qui sont socialisés pour être discrètes, sages et ne pas prendre trop de place. Cette inégalité de traitement se voit aussi dans le langage. Ce que je trouve assez fascinant, c’est que le langage façonne nos représentations, nos conceptions du monde et nos conceptions du masculin et du féminin. Il s’avère que la langue française est une langue extrêmement genrée et quand on commence à creuser cette thématique là, cette fameuse règle qu’on a tous appris au CP que « le masculin l’emporte sur le féminin. C’est pas quelque chose qui est naturel, c’est quelque chose de construit, de social.
 
En fait, la langue française au Moyen-Âge était beaucoup plus équitable. Pour tous les métiers il existait un mot pour le définir, qu’il soit exercé par un homme ou par une femme. On avait trouvé le métier de archer, archère, chevalier, chevaleresse – et ce n’était pas la femme du chevalier mais vraiment une femme qui montait à cheval et qui allait combattre. Tous ces termes là existaient et permettaient de nommer des choses comme d’autres métiers, je pense à poétesse, doctoresse qui reviennent sur le devant de la scène parce que des groupes féministes ont pris la parole sur ces sujets là pour les faire revenir dans le langage commun et courant. Ces mots là, qui viennent nous heurter parce qu’on est pas habitué·es à les entendre, ce sont des mots qui ont existé et invisibilisés par l’Académie Française. Le masculin est devenu la référence du neutre et ça a signé la mort symbolique des femmes dans des métiers considérés comme prestigieux.
 
Cette non-représentativité entraîne toutes les conséquences dont on a parlé de légitimité, confiance, etc.
 
Apolline - La question de la représentativité est clef comme tu dis. on le voit dans le milieu startup avec des collectifs comme 50intech qui jouent sur la sororité, la représentativité et l'accompagnement…
 

🐙 … et comment ça se passe de l’autre côté pour des homme qui veulent aller vers des professions plus féminines ou les femmes vers des métiers plus masculins ? comment on dépasse tous ces stéréotypes ?

 
Candice - Pour ouvrir l’horizon des possibles, on a vraiment tout un travail à faire autour de la représentation. On le voit beaucoup dans la littérature jeunesse. Aujourd’hui on a des contre-stéréotypes du côté des petites filles. On voit des petites filles badass, des petites téméraires, des petites filles qui s’emparent de leur destin, etc. Cette transgression de genre elle est possible. C’est possible de voir des petites filles qui sortent de leur stéréotype dit féminin pour aller vers des caractéristiques considérées comme masculines. Ces transgressions de genre, elle a toujours lieu uniquement dans un sens. C’est beaucoup plus difficile, plus rare de trouver dans nos modèles et représentations actuelles de société des petits garçons qui iraient vers des modèles ou des métiers dits féminins.
Et comme très tôt on intègre que le féminin est dévalorisé, ça va être valorisé pour une petite fille pour aller vers du masculin mais l’inverse rime avec un déclassement social. On le voit avec les métiers de la petite enfance, d’autant plus que ça touche au domaine de la maternité. Sans compter qu’en plus, en filigrane, se joue la question de l’homophobie.
 
Marine - Oui, homophobie mais ce qu’on retrouve aussi chez les hommes dans les métiers de la petite enfance, c’est la suspicion de pédophilie : « Pourquoi cet homme a envie d’être avec des enfants ? Est-ce que cet homme n’aurait pas un intérêt d'être avec des enfants ? »
 
Ce qu’on va retrouver aussi, c’est que parfois les hommes qui font des métiers généralement associés aux femmes vont bénéficier de ce qu’on appelle l’escalator de verre. Là où on a le plafond de verre – c'est-à-dire des corps de métier dans lesquels les femmes n’arrivent pas à monter –, l’escalator de verre c’est le principe inverse. Un homme qui est infirmier par exemple va avoir énormément d’avantages à déjà être bien vu dans son travail et gravir des échelons pour monter dans la hiérarchie. Ce qui n’est pas le cas des femmes exerçant des métiers dits masculins.
 
Pour les femmes évoluant dans des milieux d’hommes, il va y avoir une ségrégation à la fois horizontale – sur le changement de métier – et verticale – tu vas pas pouvoir monter les échelons.
 

🦀 oui, des fois ça peut te donner une impression de parité alors que dans la hiérarchie il y aura surtout des hommes

Marine - Idem en sciences politiques. En théorie les commissions sont paritaires. Mais dans les faits les commissions qui ont davantage de marge de manœuvre, sont davantage valorisés ou dans lesquels il y a davantage d’opportunités professionnelles – comme les commissions liées à la politique internationale, la finance etc. – il va y avoir quasi que des hommes. Tout ce qui touche à la petite enfance, le social et la santé, ça ne va être quasi que des femmes. Donc là on retrouve la ségrégation horizontale.
 

🐡 c’est vrai que je me suis fait la réflexion en découvrant que l’élu à la petite enfance à lyon était un homme que c’était peu commun

 
Marine – Oui, et c’est un peu comme le papa qui emmène son enfant à l’école. On se dit « quel papa extraordinaire ». Alors que la maman qui emmène son enfant à l’école, c’est une maman, il n’y a rien d’extraordinaire.
Les hommes qui vont occuper ces postes là vont être vachement valorisés, invités sur tous les plateaux alors que dans les associations ce sont des femmes, les personnes dans les ministères ce sont des femmes…
 
Candice - Et les personnes de terrain sont des femmes et ce n’est pas du tout mis en valeur alors qu’elles sont au contact direct avec le public. On va les invisibiliser, on ne leur demande pas leur avis.
 
Marine – À l’inverse, les femmes qui évoluent dans des milieux masculins… elles bataillent. Ou alors, quand on va parler d’elles, ça va être à la négative. Encore un exemple politique mais lorsqu’on parle des femmes dans ce domaine on va parler de la tenue, de la coiffure, de leur couple… Comme la Première Ministre Finlandaise où il y avait des photos complètement privées d’elle qui dansait. Ça a fait la une de tous les journaux. Je me suis demandé ce qu’elle avait fait pour que ça fasse autant la une – elle a dû être un peu éméchée ? Quand tu regardes les vidéos, c’est elle qui danse avec ses ami·es.
Elle a dû se justifier de ça.
Là où les hommes qui ont un grade assez élevé dans un métier dans des milieux assez féminins vont être encensés, les femmes dans les milieux d’hommes vont être critiquées par tous les moyens.
 
Apolline - oui, j’avais vu passer une trend tiktok de pères qui s’occupaient de leur enfant et faisaient semblant de faire des bourdes – comme le faire tomber – et dans les commentaires, les gens riaient et disaient « ho mais c’est déjà très chou ». et, en parallèle, il y avait les réflexions de certaines féministes qui disaient que si ça avait été une femme qui aurait fait ces mêmes blagues, tout le monde aurait été dans les commentaires à l’incendier et dire « mais quelle idée, vous feriez mieux de décrocher ». tout ça parce qu’on a pas été assigné·es aux mêmes rôles à l’origine. Ça me permet de continuer sur la prochaine question :  Marine, tu m’avais parlé du hashtag stay at home girlfriend que j’ai aussi pas mal poncé du coup. même si on voit beaucoup plus de progrès dans la société, la crise – notamment sanitaire – et le retour à la maison ont peut-être participé à un regain d’organisation sociale plus tradi 👇
 

🦑je me demandais donc quel rôle pouvaient jouer les réseaux sociaux et les médias sur nos conditionnements ?

 
Marine - Là avec le rapport sur l’état du sexisme en France qui a été publié par le haut conseil à l’égalité, tout le monde en parle. J’ai écouté quelques émissions et si tu entends des gens entre 40 et 60 ans, c’est la faute des réseaux sociaux et de la pornographie. Je trouve que c’est des discours hyper stériles, très limités et binaires. Ça fait moins longtemps que toi Candice que je fais de la sensibilisation en milieu scolaire mais je remarque sur le terrain qu’il y a davantage une polarisation. C’était moins le cas quand j’étais plus jeune – il y a de ça 10 ans que j’ai quitté le lycée. Je me suis retrouvé à parler avec des jeunes en 6ème sur des questions de consentement pour qui c’était un non-sujet absolu au sens où, pour eux, c’était une évidence. Ils me regardaient en mode « Bien sûr qu’on va poser la question avant d’embrasser quelqu’un, qu’est-ce que c’est que cette question ».
 
Et derrière, j’ai aussi des jeunes qui ont des propos incroyablement misogynes, incroyablement homophobes. Plus âgé·es même, au lycée. Et je me souviendrai toujours de cette discussion là que j’avais eue en classe de 4ème avec des élèves. On parlait de l’homophobie et ils me disaient que c’était normal que dans certains pays les personnes lgbt aillent en prison, voire meurent tant qu’à faire, « car ils nous oppressent ». C’était une jeune fille de 4ème qui avait dit ça « c’est normal, ils nous oppressent. »
 
C’est quand même fou !
 
Donc j’avais dit « t’es sûre de comprendre la signification de ce que tu es en train de dire ? » Elle était un peu revenue sur ce qu’elle avait dit. Encore une fois, j’y vois quelque chose de genré, je ne suis pas sûre qu’un jeune garçon serait revenu sur sa parole. Elle a dit « bon peut-être pas mourir, mais en tout cas c’est normal qu’ils aillent en prison »
 
On avait regardé ensemble la définition du terme oppresser – parce que c’est quand même ironique d’utiliser ce terme dans ce sens là – et effectivement elle était revenue sur sa parole. Elle avait dit « c’est un terme trop lourd. Ils nous dérangent, ils nous choquent, on a pas l’habitude ». Là je peux entendre ce que tu dis, parce que la question de l’habitude c’est une vraie question.
 
Sur les réseaux sociaux il y a des comptes féministes qui se font harceler par des comptes de personnes très très jeunes. Souvent des petits garçons qui ont même 10 ans, 14 ans qui envoient des menaces de mort, des menaces de viol à des féministes sur les réseaux sociaux. J’y vois une polarisation. On a accès à tellement d’informations qu’il y a d’un côté des jeunes qui y ont accès, qui en font un usage que moi, personnellement, je juge comme intéressant. Et il y a aussi ce backlash [ndlr : retour de bâton] où c’est tellement dans l’espace public, c’est tellement une question dont on parle de plus en plus dans des sphères différentes – à l’école, sur les réseaux, dans les séries, etc. – que y’a forcément une réaction de retour de bâton. Je pense que les réseaux sociaux peuvent permettre à ces personnes de se retrouver et avoir accès à des discours masculinistes.
 
C’est pour ça que les conversations des personnes plus âgées – ou des personnes de notre âge d’ailleurs – qui disent que les réseaux c’est de la merde ça n’a ni queue ni tête et ça va nulle part. Il faut avoir une discussion là-dessus parce que ça peut tout permettre. À la fois d’avoir accès à des choses hyper intéressantes du point de vue de l'éducation – surtout quand on sait que l'école ne fait pas son travail que ce soit par manque d’envie ou de moyens.
 
Maintenant, à nous de voir ce qu’on va faire de ces outils justement
 
Candice – Tout à fait d’accord. Et dire que les réseaux sont responsables, c’est aussi se dédouaner de la responsabilité que les institutions peuvent avoir sur la construction du genre. L’éducation joue un rôle primordial là-dedans et il faut impliquer tous les acteurs de la chaîne parce que c’est comme ça qu’on arrivera à déconstruire tout cela.
Et tout ce processus de retour de bâton, il n’est pas nouveau. C’est pas quelque chose de contemporain du XXIème siècle. Si on a un regard un peu historique sur les avancées sociales en termes d’avancées des droits des femmes, ou des avancées sociales, effectivement c’est un pas en avant et trois pas en arrière. Et c'est pas dû aux réseaux sociaux, ce sont des choses qui existent et qui ont lieu.
 
Marine - Et ce retour de bâton il a lieu dans toutes les sphères
 

🐟 j’aimerais beaucoup continuer la conversation avec vous, merci encore pour votre passage sur le podcast ! Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez laisser en guise de conclusion ?

 
Candice – Carrément ! Peut-être que maintenant il ne faut pas uniquement apprendre mais désapprendre. Ça va avec la logique de déconstruction pour avoir un regard critique sur nos biais sexistes, nos stéréotypes et privilèges pour pouvoir aplanir tout ça et repartir sur des bases plus justes, des bases moins inégalitaires ou discriminantes.
 
Marine – Moi j’ai envie de dire aussi que je vois de l’importance dans le fait d’utiliser tous les outils qui sont disponibles et insister aussi sur la transversalité des acteurs parce que ça ne s’apprend pas qu’à l’école. Il y a aussi la maison, les ami·es, les loisirs, etc. Tout ne se joue pas à l’école. Multiplions les outils et les portes d’entrée.
 
Merci encore ! Et, à bientôt peut-être ?