🏊‍♀️ devenir soi et définir la réussite

Alors devenir qui, c’était marrant, j’avais un avis assez tranché quand j’étais jeune et donc je m’étais dit… j’hésitais entre le fait d’être une grosse bosseuse ou une grosse feignante et donc je me disais « si je bosse, c’est que je veux devenir patron ». Je voulais forcément être très haut et je me dissais « si jamais je me rends compte que je peux pas être au top, alors j’arrête de bosser parce que je ne veux pas être dans un entre deux.
J’avais vraiment ces raisonnements là quand j’étais jeune. Passé ce petit truc, je m’étais dit : je ne veux absolument pas tomber dans cette zone grise où tu bosses beaucoup, mais pas pour réussir. J’avais cette vision là, c’est étrange quand même.
Et c’est pas du tout ce que j’ai fait…
 
Ok, tu disais « si je travaille », donc tu avais quand même exploré l'option ou tu travaillais pas ?
J'étais non, mais j'avais déjà l'impression que que potentiellement j'aurais pu être une grosse rêveuse, à écouter le vent et a aimer ça, de me contenter de ça. Mais bon, après t'es dans un environnement où tu travailles et tout, et puis t'as envie de réussir. Mais. Mais ouais ouais. Et puis j'étais scolaire, donc finalement j'étais une bonne élève, enfin une élève sérieuse, donc je m'y suis mise. Mais au fond de moi, je dois avouer que je m'étais dit il faut rentabiliser le travail parce que j'ai pas envie de faire tout ça pour juste moyennement réussir.
C'est très étrange. Et je dois avouer qu'après, quand j'ai grandi, j'ai évolué et je commençais à un peu mettre de l'eau dans mon vin en me rendant compte que ce n'était pas si simple que ça et que je n'allais pas pour autant m'arrêter de travailler complètement et devenir une grosse feignante.C'était très étrange.
 
Et pourquoi tu avais cette vision aussi du fait que si tu ne fais rien, t'es une grosse feignante. Parce qu'aujourd'hui y a plein de gens qui sont un peu dans un slowpreneuriat, qui ralentissent et qui travaillent un peu moins. Et est ce que pour toi du coup, c'est être feignant ou pas nécessairement ?
Alors bon, déjà je pense que cette mouvance n’existait pas du tout il y a trente ans ou quarante ans, donc c'est peut être plus plus usuel aujourd'hui, tu vois plus facile d'avoir cette pensée là.
Après oui, concrètement je considère, mais encore un peu aujourd'hui quand même, qu'il y a la valeur du travail quelque part, un peu de la besogne. Pour moi, c'est quand même important, donc il est important de l'avoir. Moi, je trouve que c'est aussi important de le transmettre à mes enfants. C'est à dire qu'il faut rééquilibrer aussi un peu ce discours qui est de dire on est drivé·e par l'envie et je suis la première à le dire attention parce que c'est le cœur de mon podcast aussi, mais on est drivée par l'envie, mais enfin, il faut de la persévérance, il faut du boulot derrière, tu vois ?
Et donc voilà, je reste quand même persuadé que oui, il faut pas mal le travailler, donc ne pas rien faire. Mais en fait, ce qui n’est pas juste, c'est que derrière le rien faire, c'était plutôt plutôt laisser vagabonder ma créativité. Mais c'était plus des questions comme ça final. Même si je savais qu'avec le recul, c'était pas tant une notion de feignantise qu'une notion d'être plus développer des sens créatifs.
 
Oui, donc un peu, j'allais dire l'opposition entre le negotium et l'otium en version antique.
Exactement. Voilà, ça c'était qui. Après le travail que je voulais faire. Je n'avais pas d'idée précise il y a très très longtemps, c'est à dire jusqu'en terminale, j'ai été assez… Voilà, j'étais plutôt élève scolaire, plutôt assez facile pour moi dans toutes les matières scientifiques, donc facile d'aller vers cette voie dite royale à l'époque et qui m'aurait emmené assez logiquement vers une école d'ingénieur très très très clairement.
Sauf que mon raisonnement ça a été de me dire : ola école d'ingénieur mais no way, je ne veux pas être derrière un ordinateur. Moi je me souviens très précisément à m'être dit je vais être dans la vraie vie et donc je veux être dehors. Je ne veux pas être dans un bureau enfermé derrière un ordinateur. Autant te dire que c'est exactement ce que j'ai fait.
 
Oui, j’étais en train de regarder derrière toi, je peux voir un ordinateur [rires]
[Rires] Non mais voilà les critères.
Et donc j'ai dit non à l'école d'ingénieur. Mais mon deuxième critère c'était je veux faire des études les plus rapides possible, les plus efficaces possible. Donc le ratio toujours d'efficacité entre le temps passé dans les études par rapport à ce que tu peux faire derrière et donc du coup je suis allée vers une école de commerce et dans l'école de commerce là j'ai eu plus de bon…. Ma visée c'était du commercial ok, parce que pour moi j'avais peut être plus la vision de commercial, c'est de la « négoce », t’es en relation avec d'autres personnes. T'es dehors. Bon, c'était la vision que j'avais, c'est très caricatural
et même je pense que tu as ce truc où quand t'es commerciale tu vas chez le client est a tout de suite l'impact de tes actions ou tu sais si tu signes un contrat ou pas, tu as ton chiffre d'affaire, etc
Donc c'est aussi dans cette logique de le travail te donne un résultat efficacité etc. Bon il y avait surement de ça. Et puis en avançant dans mes études, j'ai découvert le design et je suis rentré dans le marketing au travers du design.
Ok. Et donc donc voilà comment ça s'est fait, comment mon parcours s'est construit. Et je dois avouer qu'en fait j'ai plus l'impression de fermer des portes. Si tu veux successivement, plutôt que de m'être dit est ce que j'ai balayé tout les possibles ? Ok pour pour vraiment faire un choix de métier. J'ai plus resserré les choix au fur et à mesure. De école d'ingénieur je suis passé à école de commerce dans école de commerce, je suis passé de commerciale à tout d'un coup design puis marketing. Mais je sais pas si j'avais toujours ce petit doute. Si tu veux était de me dire est ce que je suis fondamentalement convaincue que c'était LA voie qui était la meilleure ? Et de me dire bah peut être le marketing. Je suis allé vers ce métier là parce que c'était finalement le métier le plus ludique et le plus sympathique dans tous les choix qui m'étaient offerts, dans le spectre que je m'étais fixé, dans lequel je m'étais enfermée. Je sais pas si je suis claire.
 
Oui, oui, en fait, je t'imagine ouvrir des tiroirs à enfermer d'autres. Les personnes ne me voit pas mais je suis en train de mimer. C'est vrai que je trouve ça très intéressant parce qu'on a plutôt tendance à se dire qu’on s'ouvre des portes pour éviter de faire un choix plutôt que d'essayer de fermer au fur et à mesure.
Ben non, parce que moi j'avais l'impression que j'ai fait des choix selon des périmètres que je m'étais fixé à l'exemple. Et je m'aperçois, tu vois au bout de 20 ans que y a un métier que je n'ai jamais osé même avouer vouloir le faire, c'était le journalisme. Et je ne m’en rends compte que maintenant, 20 ans après.
 
Et pourtant c'est un peu ce que tu fais avec ton podcast.
Et ben oui, mais je me rends compte à travers le podcast, donc je me rends compte que finalement je reviens peut être à quelque chose que j'avais rêvé de faire mais que je mettais là pour le coup moi même fixé une limite. Comme je n'étais pas très bon en lettres et que pour moi le journalisme était forcément lié à une très bonne écriture, un très bon écrit. Et donc je me suis dit je ne suis pas. Donc je me suis autocensuré sur ce métier là qui pourtant, je pense, aurait été le métier de mes rêves.
 
C’est marrant, parce que c'est aussi le retour à la créativité dont tu parlais tout à l'heure
Oui, et puis aussi le fait d'être dans la vie. Parce que pour moi, les journalistes, c'est que tu vas aller chercher des nouveaux sujets, tu vas faire des rencontres, et. puis tu passes d'un sujet à un autre et puis tu vois. Et donc je pense que ça assouvit aussi ma curiosité et aussi de rencontrer le monde, de m'ouvrir aux autres.
 
Oui, donc tu grappilles un peu partout, tu t'inspires et tu continues à construire en quelque sorte ton parcours aussi
Ha, et bien là aujourd'hui, complètement !
On parlait il y a cinq minutes des différentes choses que tu pouvais construire. C'est un
Ah bah là je suis en grosse transition là, effectivement ! À la fois parce que je me mets en indépendant sur la partie marketing digital et puis parce que je sais aussi que c'est une étape, je sais que c'est une étape intermédiaire. Probablement il y en aura une autre est autour justement de la place que prendra le podcast etc.
C'est super intéressant. J'ai plein de gens plein de questions, mais je vais revenir à la première qui m'est venue à l'esprit tout à l'heure quand j'entendais parler de ta vision de ma réussite par le travail. Pour toi justement, c'était quoi réussir quand t'étais plus jeune ? Tu l’associais à quoi ? Est ce que t'as l'air de beaucoup parler en termes de résultats, du fait d'être scolaire, donc peut être plus via les notes ?
Alors quand j'étais jeune ouais, forcément
 
Et par rapport à aujourd'hui, justement, où t’as l'air de t'épanouir dans des choses qui sont un peu plus éloignées de ta vision d'enfant ?
Oui, alors effectivement, la vision elle est complètement différente aujourd'hui. C'est vrai que aujourd'hui, ce qui est important pour moi dans la réussite, c'est de m'épanouir et de trouver un meilleur équilibre pro perso.
Ça c'est vraiment une bataille pour moi de tous les jours et j'ai besoin régulièrement de me refaire le point, tu vois. De me dire pas plus tard que cette semaine : ok, là je sens que l'entrepreneuriat c'est pas facile, tu as tout à inventer et ça demande vachement de temps, vachement d'énergie. J'ai le podcast en parallèle, je me dis sans cesse : est-ce que je continue ce podcast, ça te demande une telle énergie, est ce que je peux encore le faire ? Est ce que je le fais depuis de bonne manière ? Et en parallèle de ça, de me dire : est ce que je suis pas en train d'être boulimique d'activités aussi, tu vois, et de passer suffisamment de temps aussi à gérer cet équilibre perso qui n'est pas évident de continuer de progresser.
Donc pour moi la réussite aujourd’hui elle est vraiment là-dedans : dans l’épanouissement et l’équilibre vie pro/vie perso, c’est super important
 
Ok, et quand t'étais plus jeune c’était sur quoi du coup ?
Honnêtement, j’ai presque envie de te dire que j’ai pas envie de répondre à la question parce que pour moi, cette question était tellement biaisée. La réussite c’était avoir le retour d’autres : les profs, des parents, de la société… Je peux pas dire que moi j’avais des critères de réussite. J’avais quand même le syndrome de la bonne élève
Et quand est-ce que tu as changé cette vision ? Là tu parles d’un équilibre vie perso/vie pro, est-ce que c’est quand tu as eu tes enfants ? Plus tôt ?
Alors même pas…
 
Je te vois faire « non » [rires]
C’était même pas au démarrage de mes enfants quand ils étaient en bas âge, je bossais énormément. Ils avaient un papa très présent, une nounou aussi… donc les premières années de mes enfants non. Je pense qu’à un moment dans ta carrière, quand tu considères que tu es arrivé·e à un niveau de poste peut-être où tu te dis « HA là… ». Au niveau du grade, tu vois ce que je veux dire ? Non ?
 
Non [rires]
C'est-à-dire qu’à un moment donné j’étais cheffe de groupe dans des grands groupes de marketing et j’ai senti que pour moi c’était le niveau où j’ai pu souffler et me dire « ouf, ça y est ». Et à partir de ce moment là, c’est vrai que l’énergie n’était pas la même. Quand je me suis eu prouvé que, ouais, incroyable, moi Julie j’avais réussi à atteindre ce niveau de poste dans ce type d’entreprise qui était assez importante, et bien tout l’équilibre de cette rage que tu as à mettre dans ce type de poste où tu bosses énormément, et bien je l’ai moins eu. Et comme j’ai moins eu la flamme, j’ai commencé à me dire « ça ne me satisfait plus, j’ai besoin d’autre chose ». Donc voilà. Je pense que c’est à ce moment là que j’ai eu ce virage de ré-équilibrage. J’ai continué de beaucoup bosser honnêtement. Donc c’est un travail de tous les jours, moi, de réussir justement à faire attention à cette boulimie de travail et faire ce rééquilibrage.
Donc on ne peut pas dire que j’ai atteint l’objectif, je suis en plein dedans.
 
Oui mais en même temps, c’est intéressant déjà d'avoir eu pour essayer aujourd’hui de tendre vers un nouvel épanouissement. C’est une quête qui demandera d’autant plus de temps qu’on obtiendra jamais le bonheur à l’état pur.
Je suis pas prête d’arrêter ce boulot là, donc j’ai beaucoup de progrès à faire. Et beaucoup de choses sont là pour remettre l’église au centre du village. Je pense qu’il y a un peu de ça qui m’a fait changer.
 

🦑 gérer les transitions de vie pro/perso : la fractale de la parentalité

Et comment tu arrives à être présente pour tes enfants ?
Écoute, c’est beaucoup de gestion. Il y a beaucoup de gestion, tout est question d’organisation quand tout se bouscule autour. Pour le moment je suis beaucoup dans le combat. Mon envie maintenant, c’est de ne plus être dans le combat mais dans la sérénité dans cette gestion là.
 
Et comment tu gèress cette situation avec ta propre situation personnelle en parallèle de ces changements familiaux ? Tu arrives à en parler ?
Ça dépend à qui, forcément. Les parents par exemple sont souvent des gens… inquiets. Donc tu es dans la gestion de la peur et de la crainte.
C’est marrant, ça veut dire qu’à tout âge, les parents sont inquiets
Oui, je te garantis. Moi tu sais, quand je suis en face de mes parents, j’ai l’impression d’avoir dix ans. Ce petit sentiment peut durer encore plus longtemps. À un moment donné, il faut être doublement convaincu·e de ce que tu fais car ils vont te montrer tout ce qui est dangereux dans le fait d’être indépendant·e.
Donc je leur ai donné beaucoup d’éléments pour les rassurer, à la fois pour eux, mais aussi pour moi car à un moment, il faut trouver sa paix et expliquer es choses, c’est aussi une solution pour ne pas avoir un mood négatif à chaque fois que tu en parles à ta famille. Et de toutes les manières, pour moi c’était une évidence d’être indépendante, ne serait-ce que parce que pour l’instant, je ne m’imagine pas retourner au salariat. Peut-être plus tard qui sait, je ne me ferme pas de portes. Mais aujourd’hui j’ai trop besoin de me prouver ce que je peux faire, de tenir les rênes complètement d’un projet, de travailler à ma façon, selon mes règles. Cette évidence là, si tu arrives à la transmettre, les gens finissent par te suivre.
Je le vois beaucoup chez les entrepreneurs. J’ai l’impression que si tu as l’ombre d’un doute, tu ouvres les portes à ce que tout le monde se permette de te dire ce qui va mal et quels sont tous les dangers. Si pour toi c’est une évidence, j’ai l’impression que les remarques n’ont pas prise sur ce que tu fais.
 
Ça marche sur tout. On est en novembre et cet été j’ai parlé avec mes parents du podcast, de ma transition de ma vie d’étudiante à ma vie d’adulte… et c’est vrai qu’ils avaient peur pour moi. Là les dix ans, je les ai senti. Et en fait ils se sont rendus compte qu’il y avait énormément de travail derrière ce que je faisais, qu’il y avait beaucoup de doutes qu’ils avaient que j’étais capable, non pas de réfuter, mais que j’étais capable de leur dire dire que ça allait aller sur ces points de vue là, et je sens qu’il y a une forme de sérénité quand on s’appelle et quand on en parle qui, moi-même, m’étonne venant de leur part. Je me dis « wow, je ne vous ai jamais vus aussi tranquilles alors que moi-même je ne sais pas où je vais »
Bon alors ça faut pas leur dire
 
[rires] Non, ça je ne le leur ai pas dit
Mais je pense que quand ils sentent a cohérence, voilà, ils finissent par s'apaiser en fait, je pense qu’il y a un peu de ça.
Ça c’est vis-à-vis des parents, vis-à-vis du reste de la famille, en gros mes enfants, je suis maman d’ado, ce que je fais ça passe complètement au-dessus de la tête. La seule conséquence, c’est que mon fils m’a tout le temps à la maison comme je travaille d’ici. Donc à la limite, il voit plutôt ça comme un inconvénient à court terme. Non, ils me voient heureuse, épanouie. Ils entendent parler de mes supers rencontres, donc ce sont des bons ingrédients
 

🐟 transmission parent-enfant

 
Et comment fais-tu comme tu es aussi en phase de transition, pour transmettre aussi potentiellement les questions que tu te poses ou que tu t'es posé à ces jeunes en développement ?
Écoute, c’est marrant car pour l’instant je suis beaucoup dans aller chercher la matière chez l’autre plus que chez moi même si je pourrais aller chercher la matière chez moi. Mais ça influence certainement les questions que je pose à mes invité·es.
Pour mes enfants, c’est autre chose. Je suis très fière d’eux parce que je sens qu’ils sont sur des voies qui ne sont pas les voies qui sont les notress - celles de ses parents ou grand-parents. Après, on a fait accompagner mon fils par une coach car c’était super important ce passage par la connaissance de soi-même. Je les pousse vraiment à se poser des questions. Mon rêve c’est qu’ils soient plus curieux, qu’ils aillent à la rencontre d’adultes, qu’ils se posent des questions, qu’ils se renseignent un peu plus…
 
Qu’essayes-tu de leur transmettre dans l’orientation ?
Pas de barrières déjà. Enfin, j’essaye. Pas de barrière sur le type de métier, pour moi c’est super important.
Quelque part, quand même, de valoriser là où ils sont forts. Peut-être que tous les parents le font, mais je suis extrêmement fière quand mes enfants me surpassent dans quelque chose, qu’ils m’apprennent un truc, quand ils sont beaucoup plus doués. J’ai inscrit ma fille à des cours de dessin et mon fils à des cours d’écriture. Ça leur permet de développer un truc qui leur est propre et de se confronter à la réalité aussi.
Mon fils, depuis toujours, il dit qu’il adore écrire. C’était super important pour moi qu’il écrive, qu’il ne fasse pas que dire qu’il adorait ça. Est-ce que dans la réalité, quand on t’impose un thème, un timing et que tu ne fais pas que répondre à un prof de français qui te donne un devoir : est-ce que ça ça te plaît ? Est-ce que ça te plaît toujours ? Est-ce que si tu le fais en communauté, que tu te confrontes à la manière de faire des autres, tu prends toujours autant de plaisir ? Est-ce que tu te sens toujours aussi à l’aise ? Et ça c’est important pour moi aussi. Les stages de troisième c’est super important aussi. C’est qu’une semaine mais j’ai pas envie qu’ils fassent des stages pipeaux. Ma fille, elle veut être décoratrice dans le cinéma, je m’échine à trouver quelqu'un pour l’accueillir parce que c’est extrêmement important pour moi de voir et puis de rencontrer le monde des professionnels et des adultes.
 
Oui, d’arriver à cultiver ta curiosité et d’aller tester sur le terrain
Exactement
 
Et comment, tu disais qu’ils avaient chacun un - j’aime pas le terme talent - une chose qui leur était propre, comment tu as fait pour nourrir leur curiosité pour qu’ils le trouvent ?
Je les ai fait tester […]. Essayer, sans forcer. J’ai envie de garder la notion de plaisir
 
C’est marrant, en t’écoutant je me rends compte que ce que tu as envie que tes enfants cultivent, c’est la créativité dont tu parlais [rires]
C’est pas faux… Voudrais-tu dire que ce sont mes thérapies ? Non mais t’as raison, c’est toujours ça. Dans notre éducation on est toujours en réaction. Pas en réaction à mes parents, pas du tout, mais à ce que toi tu as envie de développer en toi-même, ça c’est sûr, c’était essentiel pour moi
 
Et comment tu penses les accompagner s’ils décident de se lancer dans une carrière super créative ? Je te pose la question parce que mes parents avaient – je pense – la même politique que toi et se retrouvent aujourd’hui avec trois enfants qui font des choses assez artistiques, et je sens que c'est pas forcément simple à gérer.
Non, c’est pas du tout simple à gérer parce que là je reprends ma casquette de parent avec la peur et la carrière artistique égal potentiellement précarité, difficultés financières etc.
Donc ça c’est compliqué à gérer parce que, clairement, on a envie que nos enfants aient la meilleure vie possible et la vie la plus safe entre guillemets donc, forcément il y a cette part là qui est difficile à gérer.
La seule chose que j’essaye de faire, c’est de leur montrer la valeur des choses. Quand je dis ça, c'est que… enfin, ils vivent dans un appart’ à Levallois donc ok, ils peuvent raler sur le système de salariat, de cadre etc. mais c’est ce qui a permis de leur payer quand même concrètement des petites vacances, le fait qu’on puisse aller au restau', acheter des fringues comme un veut… Donc j’essaye de leur montrer le prix de la vie aussi, et c’est un choix. Tout choix demande à être assumé et pour l’assumer il faut quand même s’en rendre compte. Il faut se rendre compte du deal que tu fais, parce que ce sera leur vies à eux […]. Pour moi ça passe par la prise de conscience. Si tu aimes ce que tu vois autour de toi, le style de vie que tu as, etc. il faut que t'en aies conscience. Il faut que t’aies conscience que ça nécessite parfois d’aller vers certains métiers ou, à l’inverse, de prendre le risque de ne pas avoir ce style et ce niveau de vie. Ce que je dis est très caricatural parce qu’on peut avoir une carrière artistique très rémunératrice. C’est pas l’un ou l'autre.
Mais en tout cas, ce que je veux, c’est que si mes enfants sont créatifs mais réalistes et travailleurs, moi, franchement, j’aurais tout réussi […].
 

🐙 créativité et travail

C’est cool que tu arrives à balancer ce côté créatif et travailleur. J’ai l’impression avec les différentes plateformes et les contenus que je consomme sur instagram – je passe très peu sur tiktok –, j’ai l’impression qu’on conçoit de plus en plus la réussite comme un avant/après. Enfin, que les personnes – inconnues – arrivent sur un réseau et gagnent immédiatement genre, 100 000 followers, ont un feed hyper canon etc. et ça donne l’impression – du moins pour moi quand je scrolle que…
…Tout est un peu miraculeux ?
 
C’est ça, et que tu n’as pas forcément besoin de tant travailler et que c'est plutôt une question de talent initial
Mais tu vois, ça c’est typiquement des discussions qu’on a avec ma fille qui me dit « génial si j’étais influenceuse. Elles gagnent beaucoup plus que toi et elles doivent beaucoup moins bosser que toi. Le tout avec une défiance en mode “pourquoi toi tu t’embêtes à faire tout ça ? “ » Et je leur explique que les influenceuses faut pas se tromper, ils bossent comme des tarés. Et d’ailleurs, ça fait partie des invités que j’aimerais bien recevoir pour justement déconstruire cette image là.
T’as rien sans rien. J’y crois pas du tout à cette idée de gagner, à part quand tu gagnes au loto…
 
et encore, l’investissement initial je pense est énorme
Exactement, la rentabilité t’es pas sûr ! Mais en tout cas, voilà. C’est pour ça qu’on en revient au travail-besogne. Pour moi c’est super important de se rendre compte que tous les gens qui ont réussi, il y a eu un parcours de dingue avant semé d’embûches, d’échecs – de doubles, de triple échecs. Rien n’a été simple. Et ils se sont beaucoup sacrifiés. J’ai regardé un post de Michel – de Michel & Augustin – hier, et il racontait tout son parcours. Comment à quel point il s’est lessivé pendant quinze ans. C’était génial, c’était sa vie, mais il est en train un peu de payer le prix aujourd’hui. De se rendre compte que toute l’énergie qu’il a passé, il est peut-être passé à côté d’autre chose. Typiquement Michel & Augustin tu peux te dire « wow, la success story, c'est génial », mais oui. Quand tu communiques dessus sur les réseaux sociaux tu ne communiques que les paillettes.
Mais ça c’est un peu le gros danger des réseaux sociaux. On communique souvent que la façade, ce qui est beau, génial, et on communique peu sur la traversée des déserts, les complications pour y arriver.
 
Ou alors on en parle mais a posteriori, donc ce sont des parcours auxquels on – enfin j’ai – du mal à m’identifier parce qu’une fois que t’as pris du recul, tout est plus romancé donc évidemment que tout te semble plus « simple » à traverser que sur le moment où t’es au fond du trou et tu te dis « omg pourquoi j’ai choisi de faire ça ? »
Avec tous les doutes que t’as chaque jour
 
J’avais écouté – je ne sais plus si c’était un podcast ou une vidéo sur insta – d’un influenceur qui parlait du fait que, comme ton gagne pain c’est ta communauté, si tu perds ton compte instagram, tu perds ta communauté du jour au lendemain et qu’il y a tout ce travail en amont qu’on ne soupçonne absolument pas. Ça doit être difficile de jongler entre ce côté “je suis cool » sur les réseaux – ou du moins “ma vie est parfaite” – et à côté quand tu pars démarcher des gens, quand tu montes des campagnes ça doit être éprouvant
Et puis ils bossent comme des fous et ils sont hyper exposés. Après, chacun ses critères de réussite et tout ça, ce serait très dur pour moi, mais oui, il y a quand même une notion de façade.

🐠 quelle vision de l’orientation transmets-tu à tes enfants ?

Et est-ce que tes enfants, en voyant ton parcours “éclectique", ont une vision plus fluide de l’orientation ?
Hum, très bonne question. Écoute, je ne sais pas. On en a jamais trop parlé. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont deux exemples dans leurs parents de ce mouvement donc je pense que de fait ils se permettront – même s’ils l’ont pas dit “bah tiens on le voit donc on pourrait". Mais pour répondre à ta question, je pense que mon fils le réalise car aujourd’hui il construit un parcours qui est assez riche et varié. Son premier critère de choix d’options en première a été l’intérêt pour la matière, pas “ce que je pourrais en faire pour ma carrière”.
Une première étape qui fait que j’aime bien qu’il fasse ces choix là […]. Mais en même temps il le sait et il le formalise “je sais que je peux encore changer” […]. Il le dit et il se le permet et on en discute. Et au contraire, ma fille qui depuis des années veut faire décoratrice d’abord d’intérieur et maintenant de cinéma, je lui dit “attention, c’est pas parce qu’on a une certitude que c'est ça. C’est bien d’ouvrir ses chakras aussi. Non mais, si tu as une trop grande certitude trop tôt, tu peux passer à côté aussi d’autres possibilités. Donc des fois je le lui dis justement pour qu’elle s’autorise à penser à autre chose et à ne pas s’enfermer dans un schéma, pour moi c’est super important.
Ils en ont conscience car à chaque fois dans les choix d’études possibles, ils raisonnent quand même comme ça : “en allant de ce côté là j’aurais quand même plus de choix possibles demain pour pouvoir changer si c’est possible". Ils le disent régulièrmeent quand même.
 
C’est trop chouette. C'est vrai que – enfin moi je vois dans mes études – les profs avaient tellement cette vision de l’autoroute de la vie dans la réussite que ça peut aussi, j’allais dire, gangréner la vision propre que tu t’es construit dans ton milieu familial concernant de ce qui est une carrière épanouissante ou réussie.
Tu vois, ça, je me dis qu’on râle beaucoup sur les réformes actuelles – je parle pas de parcoursup – mais du fait que tu demandes en tant que parent et donc enfant de décider des options dès la seconde et la première. Moi ce que je trouve intéressant, c’est que ça donne un gros coup de pied aux fesses pour se poser ces questions là dès la seconde.
Et puis le choix c’est pas de se dire – là on va voir mon âge – “est-ce que tu vas faire un bac C, un bac L ou un bac B ?” Donc là c’est vraiment mon âge d’ancienne génération
 
Ne t’inquiète pas. Moi aussi je fais partie de l’ancienne génération puisque j'avais les bacs S, L, etc. et aujourd’hui il n’ya plus de lettres
Ha oui, c’est ça, y’a plus de lettres !
Donc aujourd’hui, ce que je trouve génial, tu peux faire une première et une terminale où tu as choisi comme spécialités philo / physique-chimie. Donc les trucs qui n’ont rien à voir.
Donc ça je trouve intéressant. C’est un peu flippant parce que tu te demandes “est-ce que dans les études secondaires – c'est-à-dire post-bac – les gens vont être assez ouverts que ça ? Moi ma petite inquiétude, c’est que ces profils qui vont vers de la physique et de la philo, par quel type d’université ou d’école vont-ils être acceptés ? On va se dire “mais c’est quoi ces profils hybrides” ? Donc je trouve que c’est super intelligent, j’espère juste que ce schéma de pensée va suivre dans les études secondaires. C'est mon premier questionnement.
Mais en tout cas, ce que je trouve super intéressant, c’est de te dire que ça te force à te poser ce genre de questions et ça ne t’enferme pas dans un schéma où tu te dis “il faut absolument faire maths et physique car je veux être en S".
[…]
 
Comment tu penses que tu réagirais si un de tes enfants venait te voir en te disant qu’il ou elle se pose plein de questions et que la voie pour l’instant empruntée ne semble peut-être plus être celle qui lui convient ?
Alors. C’est toujours plus facile à dire qu’à faire mais je pense que je lui dirai que c’est cool qu’il s’en rende compte maintenant. Je pense. Mais. Il y a toujours un mais. Là où je commencerais à flipper, c’est si je suis face à un enfant zappeur qui à la première difficulté s’arrête, tu vois ?
Si je sens qu’il abandonne quelque chose parce que le niveau est trop élevé, qu’il ne se met pas les moyens de ses ambitions, là ça me ferait flipper. En revanche si je sens qu’il a essayé, qu’il a bossé, qu’il s'est mis dedans, qu’il s’est donné les moyens et que ce n’est pas ça qui bloque, c’est l’envie, là je suis prête à l’entendre et je préfère qu’il le fasse là plutôt qu’il fasse un burnout à quarante ans ou qu’il soit pas heureux et qu’il ait besoin de faire une reconversion plus tard – ce qu’il fera de toutes les façons puisque j’ai l’impression qu’on sera tous amenés à changer de métier mais j’ai envie qu’il soit en cohérence, pas de se dire “je suis obligé de faire dans ce métier parce que je me suis enclenché dans un truc, je vais jusqu’au bout". C’est quand même super triste de se dire ça. Donc moi, avoir un enfant qui prend conscience et que je ressens acteur de ce qu’il va vivre, moi je serais très heureuse. Ça je préfère. Sauf si c'est un zappeur feignant. Enfin feignant, qui zappe à la première difficulté.
[…]
 
Pour clôturer, j’ai une dernière question. Aurais-tu un conseil pour des enfants pour des personnes qui sont plus âgées et ont des parents pour ouvrir la conversation sur ces questionnements, cette envie de développer sa créativité sans pour autant trop savoir comment faire ?
C’est compliqué car ça demande beaucoup de courage, d’assise, de connaissance de soi. Là ce que je vais dire c’est facile à dire mais beaucoup plus difficile à appliquer. Je pense que tout est dans la posture. Le souci c'est la posture. Il faut changer de posture et se dire que c’est nous qui sommes maîtres de notre destin et arriver à se convaincre que si tu es suffisamment au clair de ce que tu as envie de faire à un moment donné, tes parents se rangeront derrière toi car ils verront que toi tu sais.
Ce que les parents veulent je pense, c’est de voir qu’il y a un capitaine à bord […].
Moi ce qui me paraît important aussi, c’est de faire le tri dans les réponses que l’on aura. Pourquoi les parents répondent ça ? Parce qu’ils veulent le mieux pour nous, mais parfois c’est aussi guidé par un peu les craintes sur la suite […].
Après je pense que les parents sont pas la seule source, quand on a beaucoup de questions il faut s’ouvrir à beaucoup d’autres personnes avec qui il n’y aura pas ce rapport de crainte, de jugement, d’image – dans les deux sens quand je dis ça ce n’est pas une critique que des parents. Nous aussi on se met beaucoup de barrières vis-à-vis des parents parce qu’on ne veut pas les décevoir et c’est normal. Mais c’est essayer de trouver d’autres sources avec qui t’as pas ce rapport affectif […].
Il faut se dire que quand tu auras réussi à communiquer de manière à peu près sereine sur ces choses là, tu auras fait un bon de folie en termes de maturité. C’est aussi le sens de la vie, il faut se détacher de vouloir plaire à ses parents quelque part. C’est une sacrée bataille à mener mais forcément pour aller vers du mieux et de la maturité.
Mais c’est pas facile à tous les âges !
[…]
 
Merci beaucoup pour cette discussion et à bientôt peut-être ?